Maurice Genevoix observe non sans humour le comportement des enseignants qu’il a connus dans son enfance. S’il dénonce assez vertement certaines méthodes des « hussards de la République »(1), il n’oublie pas que la révélation de l’art lui a été donnée par une maîtresse de maternelle.
Les mots de Maurice Genevoix :
Vilain nez sale.
Melle Zénaïde, notre maîtresse… était une vieille fille sombre, aux bandeaux plats et cirés, au visage pâle et sévère. Elle était peut-être très bonne, mais cela ne se voyait pas… Elle était férue d’hygiène. Il y avait, au bout du préau, une étroite et longue pièce carrelée au mur de laquelle était fixé un bac de zinc, un étrange saucisson de fer-blanc, muni, à intervalles réguliers, de menus robinets de cuivre. Combien chiches ! Du goutte à goutte… L’eau s’y imprégnait, à la longue, d’une fadeur particulière, un relent de croupissure que mes narines retrouvent encore. Et pareillement, l’odeur de la petite éponge, de l’unique petite éponge qui débarbouillait nos frimousses, à tour de rôle, à la douzaine.
« Approche ici, vilain nez sale ! » C’était une injure considérable, une flétrissure redoutée. Hélas ! Les hivers étaient rares où nous ne l’encourions et ne la méritions en chœur. Il y suffisait d’un moutard, et d’un rhume. Mademoiselle au revers de sa robe, Madame mère au creux de son tablier plongeaient dans leur profonde et en tiraient un vaste mouchoir. Et de moucher, et de « faire souffler », à tour de rôle aussi, changeant de place, bien sûr, de coin en coin. Mais le résultat n’en était pas moins infaillible. Dès la Toussaint, tous les nez de l’Asile étaient « sales ». On en avait jusqu’au printemps.
(Au cadran de mon clocher de Maurice Genevoix, © Plon, un département de Place des éditeurs, 1960)
Une discipline de fer à la « grande école ».
Maître, adjoints, ils avaient tous le rugissement facile et la torgnole tout aussi prompte. Tantôt la simple gifle ; tantôt l’honorable fessée, suspendu au creux d’un bras vigoureux et gigotant en ruades vaines ; tantôt, au moins aussi souvent, le coup de règle sur le bout des doigts joints. Très sec, l’angle du bon côté. Pauvres gosses ! Je pense aux petits doigts, aux engelures boursouflées des hivers.
Mais qui se serait plaint, indigné ? C’était ainsi, c’était dans l’ordre. Ces hommes-là n’y mettaient pas de méchanceté.
(Au cadran de mon clocher de Maurice Genevoix, © Plon, un département de Place des éditeurs, 1960)
La révélation de l’art à l’école.
C’est là aussi que la révélation de l’art, de son pouvoir incantatoire et magique m’a été inoubliablement donnée. Il y a suffi d’une adjointe, d’un tableau noir, de quelques bâtons de craie, un rose, un bleu, un vert, un brun…
Elle venait de nous lire une fable de La Fontaine. Et voici que du tableau noir un étang bleu naissait, avec ses joncs, ses nénuphars, sa frémissante fluidité. La grenouille arquait son dos, bandait ses longues pattes de sauteuse… Mais ce point brun, là-bas, au fond du ciel ?… C’est le milan ! Le voilà, il plane, il darde son regard perçant, il va fondre, il fond, il s’abat, il enlève dans ses serres la grenouille liée à son captif… Ha !…Je haletais. J’étais ravi, moi aussi captif, envoûté.
(Au cadran de mon clocher de Maurice Genevoix, © Plon, un département de Place des éditeurs, 1960)
Tous « élèves », tous en tablier noir, tous solidaires, tous égaux devant la loi et les prophètes de la laïcité ; et néanmoins aussi divers que leurs parents citoyens.
(Trente mille jours de Maurice Genevoix, © La Table Ronde, 2019)
Le terrible père Puy décontenancé.
Une fois pourtant, une mémorable fois, la classe put voir le terrible père Puy déconcerté, presque interdit. Non par le triste Paulin Musard, mais par un autre « recommandé ». Celui-là s’appelait Roubine ; madré, malin, de ceux dont on dit en Sologne : « Il est plus roué, ce drôle, que les fesses d’un postillon. » La citation est de circonstance : Roubine avait blindé sa culotte. De fer-blanc. Au premier coup qui s’abattit, une stupeur en même temps tomba. Quelle sonorité monstrueuse ! Nul de nous n’en crut ses oreilles. Ni le père Puy : la badine lui sauta des mains.
(Au cadran de mon clocher de Maurice Genevoix, © Plon, un département de Place des éditeurs, 1960)
En 1976, la ville projette la construction d’un nouveau groupe scolaire. En 1978, le conseil municipal décide de le nommer Maurice Genevoix et, en 1979, l’écrivain en pose la première pierre. Le groupe scolaire ouvrira en septembre 1980.