Circuit Maurice Genevoix

Etape 7 : la stèle du Chastaing

La promenade du Chastaing vers 1900 ; carte postale ancienne ; collection particulière

L’emplacement choisi pour honorer la mémoire de Maurice Genevoix, cette fontaine à l’ombre des grands platanes, au milieu de la promenade du Chastaing rebaptisée pour l’occasion promenade du Chastaing-Maurice-Genevoix, offre une vue privilégiée sur la Loire, thème majeur des œuvres du grand écrivain.

L’inauguration de la stèle eut lieu le 6 avril 1987 en présence de Maurice Schumann, académicien, ancien ministre des Affaires étrangères1, de Roland Giraud, comédien, de nombreuses personnalités locales et, évidemment, de la famille Genevoix.

  1. Maurice Schumann (1911-1998), compagnon de la Libération, la voix de Londres, journaliste, plusieurs fois ministre sous les IVe et Ve Républiques, académicien, clôt une brillante carrière politique par le ministère des Affaires étrangères (1969-1973)

 

 

Les mots de Maurice Genevoix :

 

Que n’ai-je le pouvoir magnifique d’animer mes visions et mes rêves ! Maintes fois, maintes fois, j’ai cru voir, à l’image d’un clair visage de femme, sourire le visage de la Loire. J’ai rêvé, dans un bloc de marbre blond, de hanches souples et de seins aux belles courbes.

(Rémi des Rauches de Maurice Genevoix, © Flammarion, 1980)

 

Extraits du discours de Maurice Schumann :

 

… Oui ! Il faut labourer longtemps pour porter à leur perfection les phrases courtes de La Dernière Harde : « Les biches sont veuves dans les Orfosses. Le chien a fini de hurler. Les biches écoutent… Le brame s’est tu, le vent ne soulève plus les feuilles. »

 

Oui ! Il faut s’être mûrement persuadé dans la solitude du grand blessé que « tout homme est solidaire » pour porter sur La Mort de près un regard chargé de respect : « Il a murmuré : ma mère »… Et il est mort sur ce dernier mot, tout entier ramassé, blotti. À nos yeux, tout venait de s’achever. Pour lui, non. Mais comment irais-je au-delà ? » Au fait, pourquoi n’ai-je jamais osé vous parler de ces paroles, de cette pudeur d’un agnostique au bord du mystère ? Pourquoi suis-je convaincu que – si vous reparaissiez devant moi – je ne voudrais ni n’oserais briser ce silence ?

 

Oui ! Le comble de la simplicité exige le comble de l’art. Relisez dans votre éternité le début de votre Jardins sans murs (1968 : nous sommes encore loin de votre « avant-dernier chef-d’œuvre ») : « Admettre que les racines de l’art plongent dans un terrain magique, c’est peut-être s’ouvrir un chemin vers les prestiges de la fleur, ses enchantements, ses charmes, ses sortilèges. » Comme je vous remercie de me faire partager votre transport d’enfant émerveillé le jour où il vous fut donné de pénétrer dans un atelier de jeunes et ravissantes fleuristes : « Elles ont l’air vrai, n’est-ce pas ? » me disaient-elles en me montrant leurs fleurs d’étoffe. Je les trouvais, je m’en souviens, plus belles que si elles eussent été vraies ; autrement belles ; miraculeuses de naître aux doigts de jeunes magiciennes. Autrement : c’est vous-même qui écrivez l’adverbe en italiques.

L’assistance pendant le discours de Maurice Schumann ; photo Seznec ; AMML

Oui, une dernière fois oui ! Magicien qui – jusqu’à quatre-vingt-dix ans – n’avez jamais vieilli, vous avez, pour ne pas altérer leur vérité, rendu la vie et la mort autrement belles, belles d’une autre beauté. Mort de la mère biche qui, dans son agonie, cherche à tendre lentement le col vers son enfant. Survie de l’orphelin, anxieux seulement de ne point quitter sa mère, qui sentira bientôt contre lui un vide glacial et poussera une « interminable bramée de peur et de désolation ».

J’ai voulu, avant de revenir vers vous, recomposer vos traits, vous redonner le visage que peignait mon admiration avant notre première rencontre : celui du plus grand, depuis Victor Hugo, des maîtres de la compassion. Car il ne faut pas que votre prodigieuse réussite d’octogénaire relègue dans une ombre injuste les premiers vingt-cinq mille de vos Trente mille jours. Pour attendre la mode, vous ne vous êtes jamais arrêté fût-ce une seconde, altéré fût-ce par la plus légère concession. La mode vous a rejoint ? Tant mieux pour elle ! Mais déjà vous étiez plus loin, vous-même, seul avec Suzanne dans le bosquet de Sylvie, seul avec celles qui savaient si bien vous aimer.