Circuit Maurice Genevoix

Etape 1 : le « Magasin »

Croquis annoté (1) du « Magasin » par Maurice Genevoix

Maurice Genevoix est né à Decize, ville de la Nièvre « assise » en Loire, le 29 novembre 1890.

Ses parents, Gabriel et Camille, née Balichon, et l’enfant d’un an ont « valé » jusqu’à Châteauneuf-sur-Loire (« dans le langage de nos vieux mariniers, valer, c’est suivre le fil de l’eau, se confier au courant, et, symboliquement, au destin », explique Maurice Genevoix). Après avoir assumé provisoirement la direction du « Magasin » d’épicerie en gros pendant l’indisponibilité de Florimond Balichon, malade, et celle de son fils, Fernand, requis par le service militaire, Gabriel Genevoix s’associe à Fernand Balichon ; la société dont la raison sociale apparaît sur la photo du « Magasin » dure de 1894 à 1899. Parallèlement à cette activité de négociant, Gabriel Genevoix est greffier de la justice de paix et agent d’assurances.

Par la suite, en 1929, Fernand Balichon vendra à Jules Picanon, associé de son gendre Paul Fontenoy, la partie vins-spiritueux-eaux-de-vie, ne conservant que l’épicerie en gros, en haut de la rue Saint-Nicolas, à l’angle de la Grande Rue.

Depuis 1991, le bâtiment est la propriété de la ville. Dans le local de l’épicerie, l’association des mariniers de Châteauneuf-sur-Loire a installé un atelier de fabrication de bateaux de Loire.

(1) Maurice Genevoix se livre à un exercice de mémoire 67 ans après la prise de la photo en identifiant les personnages : de gauche à droite, en haut, Grand-mère, Grand-père, Maman, Louise (Bezault) ; en bas, Pascal (Grivot), oncle Fernand, my father, le « vieux blanc », myself, René, Émile Blanchard, le père Jules (Picasnon), Charles (Bezault), Davron, Hubert Michaud (le seul dont je ne suis pas sûr), Louis Blondeau.

 

 

Les mots de Maurice Genevoix :

 

Syphon d’eau-de-Seltz_Balichon-Genevoix, détail, coll. part.

 

Un accident cardiaque venait de faire chanceler la santé de mon grand-père. Son fils, frère cadet de ma mère, allait être requis par la conscription de sa classe. Mon

père, dans la force de l’âge, avait valé pour assurer, jusqu’à la libération de son beau-frère, la conduite d’une affaire familiale qui réclamait une présence attentive, quotidienne, et quelque autorité.

(Trente mille jours de Maurice Genevoix, © La Table Ronde, 2019)

 

Le « Magasin » est un lieu magique où tous les sens de l’enfant sont mobilisés à la découverte d’images, de senteurs, de sons.

Un peu plus tard, mon oncle parti pour la caserne, mes parents s’installèrent dans la maison toute neuve que mon grand-père avait fait bâtir à côté de ses entrepôts. L’ensemble, pour nous, c’était le « Magasin ». Il y avait un magasin en effet, carrelé de briques, avec une cage vitrée intérieure où travaillaient le chef comptable et ses aides. On y groupait les marchandises avant de les charger, d’un quai voisin, sur des camions attelés de puissants percherons… Ces enfilades, ces alvéoles, ces planches, ces murailles de sacs et de caisses… c’était le royaume des odeurs : farine de lin, farine de moutarde, poires tapées, abricots secs, rinçures de fûts, eau de javel

(Jeux de glaces, de Maurice Genevoix, © Wesmael-Charlier, 1961)

Les ouvriers tonneliers vers 1905 ; photo René Avezard ; collection particulière

 

Au-delà, c’était encore un autre monde, celui des fûts, des muids, des foudres et des bouteilles. Il a peut-être moins compté dans le déroulement de mes jours, peut-être davantage dans ma mythologie parallèle. Sans qu’il me fût besoin d’y hasarder mes pas, il était là, sous l’autorité de Davron, le maître tonnelier qu’assistaient Gustave, puis Édouard… Monde sonore, presque musical, chaque tonneau ayant sa voix propre pour répondre au frappement des battes. Nos tonneliers en jouaient en virtuoses… La trogne de Davron, sa « mouche » de mousquetaire sous la lèvre, ses crins frisés en auréole, la mâchoire carnassière de Gustave, bleue le lundi en dépit du rasoir, noircissante du mardi au samedi, il me suffit de les revoir en moi pour que s’effacent quatre-vingts années de ma vie, pour que je tende encore l’oreille au chant rebondissant des futailles…

(Trente mille jours de Maurice Genevoix, © La Table Ronde, 2019)