Circuit Maurice Genevoix

Etape 3 : la maison de Grand-mère et Le jardin dans l’île

La maison de Grand-mère ; photo Gaston Pouillot ; 2018

Le recensement de mai 1896 indique au 109 Grande-Rue : Balichon Florimond, 60 ans et Pasquier Clotilde, 50 ans, les grands-parents maternels de Maurice Genevoix.

Au-delà de la cour de la maison de Grand-mère, aux confins du réel et de l’imaginaire, se situe le cadre enchanté qui inspira à Maurice Genevoix le titre de son roman : Le jardin dans l’Île. Fan, le héros du roman, découvre les joies et les tourments du passage de l’enfance à l’adolescence.

Et c’est dans la cour que se trouve la remise surmontée d’un grenier ouvrant sur la lucarne du défi.

 

 

Les mots de Maurice Genevoix :

 

Rien, au premier regard, ne distinguait la maison de grand-mère, la troisième, des deux maisons qui la suivaient. Elles avaient toutes la même porte vitrée surélevée de quelques degrés, flanquée de hautes fenêtres aux rideaux de guipure à festons. Le même toit les couvrait toutes les trois, un toit à quatre pans avec deux girouettes au faîte. Du côté de la rue, presque toutes les maisons se ressemblent. Elles se guindent entre leurs voisines ; mais c’est un faux visage qu’elles montrent, un masque inexpressif qu’elles ont mis une fois pour toutes. Les maisons n’aiment pas la rue : ce n’est pas de leur gré qu’on les a bâties tout au bord. Alors elles vivent de l’autre côté, vers les cours.

(Le Jardin dans l’île de Maurice Genevoix, © Rocher, 1959)

 

Le Jardin dans l’île, première de couverture de l’édition de 1941 ; Flammarion

Fan, le héros du roman Le jardin dans l’île, âgé d’une dizaine d’années, qu’on ne peut pas ne pas assimiler au jeune Maurice Genevoix, passe ses jeudis chez Grand-mère, entouré du « cercle de ses compagnons » du même âge qui boivent littéralement ses paroles.

Depuis qu’ils sont là-haut tous les deux, le temps glisse d’un flux insensible. Un sentiment de légèreté, de liberté bienheureuse les pénètre. Fan parle, explique le monde qui se déroule sous leurs yeux, et Boudard l’écoute en silence…

L’île, d’abord : une île en effet, sinueuse, flottante, bien distincte au milieu des jardins. Mais ses limites ne gênent pas les yeux, car elle se noue de toutes parts aux frondaisons qui l’environnent. On dirait que de tièdes effluves s’échangent d’une cime d’arbre à une autre, tissant dans l’air au-dessus des berges un mouvant réseau invisible.

(Le Jardin dans l’île de Maurice Genevoix, © Rocher, 1959)

 

Fan se pencha encore un peu plus.

— Je te dis une fois : me crois-tu ?

— Non, dit Buteau.

— Deux fois… Trois fois…

Les autres échappèrent trop tard à l’angoisse qui les paralysait. Un cri jaillit de leurs poitrines, auquel sembla répondre un autre cri, venu du parc de Claire Delayance : Fan s’était jeté dans le vide.

Boudard hochait pensivement la tête. Il murmurait :

— Tu es tombé dans les aveliniers. De la lucarne au pied du mur, il y a plus de quatre mètres. Pourquoi as-tu sauté, mon vieux ? C’était fou, tu pouvais te tuer.

— Oh ! dit Fan, si tu crois que j’y ai pensé…

Il songea ; le reflet du brasier allumait des points d’or dans ses yeux.

— J’ai eu bien mal, ça oui. Et pourtant, je n’ai pas regretté. J’ai obligé Buteau à me croire, en même temps que Jean et Franquin. Buteau, lui, n’aurait jamais sauté. Il aurait calculé la hauteur, et il serait resté sur le bord de la lucarne.

(Le Jardin dans l’île de Maurice Genevoix, © Rocher, 1959)

 

La lucarne du defi, photo G.P.,1988

On connaît le traitement de choc proposé par la médecine de l’époque pour hâter la consolidation de la fracture : événement subi par Maurice Genevoix lui-même, ici appliqué au héros du roman.

L’échaudoir, ce bœuf que le boucher abattait presque sous ses yeux, tout ce sang mousseux et fumant qu’on versait dans un seau et où il plongeait sa jambe…

(Le Jardin dans l’île de Maurice Genevoix, © Rocher, 1959)

 

Cet exemple illustre bien le processus de création littéraire chez Maurice Genevoix à partir d’un fait réel, vécu ou observé.

Le sang, quinze ans plus tard, j’allais, Dieu sait, le retrouver, celui dont les passions, l’envie, la haine, l’appétit de puissance, la cruauté et la bêtise ouvrent criminellement les sources depuis que le monde est monde et que les hommes sont les hommes. J’ai vécu, parmi les Français de mon âge, l’un de ces temps ignominieux où le « devoir » condamne à tuer ou à être tué. Ce livre que j’écris perdrait jusqu’à sa raison d’être si je voilais, chemin faisant, les cicatrices toujours douloureuses qui m’ont alors, corps et âme, marqué.

(Trente mille jours de Maurice Genevoix, © La Table Ronde, 2019)