Circuit Maurice Genevoix

Etape 2 : la « nouvelle maison » des Genevoix

Acte d’achat du terrain sur lequel sera construite la maison Genevoix ; collection particulière

La famille Genevoix est d’abord logée dans la maison attenante au « Magasin », construite par Florimond Balichon, et qui donne sur la Grande-Rue.

Le recensement de mai 1896 indique encore au 134 Grande-Rue : Gabriel Genevoix, 35 ans, négociant, Camille Balichon, 26 ans, Maurice, 5 ans, René, 2 ans ainsi que Fernand Balichon, négociant, 25 ans.

Maurice Genevoix quitte Paris sur les conseils des médecins pour guérir de la grippe espagnole contractée en décembre 1918. C’est dans sa chambre, donnant sur les « Petits sentiers », qu’il écrit, alternant les derniers livres de guerre (La Boue, Les Éparges), avec les premiers romans (Jeanne Robelin, Rémi des Rauches, etc.). Il quittera cette maison pour les Vernelles après la mort de son père survenue en 1928.

La maison des Genevoix a un autre titre de gloire en littérature : c’est le cadre principal de l’action de Rroû, roman publié par Flammarion en 1931. C’est donc aussi la maison de Clémence, domestique dévouée corps et âme au « maître », et de Rroû, chat dont le domaine s’étend au « Magasin », au marronnier rose et au cèdre bleu, mais qui sacrifiera une vie douillette et protégée à un irrépressible besoin d’indépendance et de liberté.

 

 

Les mots de Maurice Genevoix :

 

Nous avions changé de maison. Encore une maison neuve, banale mais sans laideur, avec un jardinet clos, un cèdre bleu, un marronnier rose. Ma chambre, au premier étage, donnait sur les Petits Sentiers. Le vent des équinoxes venait se déchirer contre l’angle du pignon. La lumière, le vol des nuages répétaient dans les plaines du ciel le glissement du grand fleuve invisible. Mais si proche ! Trente ans plus tard, au moment où mourut mon père, cette chambre était restée ma chambre. J’y dormais, j’y travaillais.

(Jeux de glaces, de Maurice Genevoix © Wesmael-Charlier, 1961)

 

Dès le printemps, j’ouvrais toute grande l’une des fenêtres, celle qui s’orientait vers la Loire. Au revers des maisons du bourg, bordant une frange de jardinets, sinuait un sentier qui existe encore aujourd’hui et que les anciens cadastres désignaient de ce nom parlant : Sentier de Roanne à la mer…

L’été venait. La nuit d’août avivait ses étoiles. À de longs intervalles, des éclairs muets tremblaient sous l’horizon du sud. Un calme immense régnait sur l’étendue. Pas d’autre bruit que le grattement menu de ma plume sur le papier. Ou peut-être… D’où venu ? Soupir fluide, lent friselis de source ou de surgeon qui s’attarde sous le ciel. Ma plume reste en suspens, j’écoute, et mon cœur s’émeut : c’est la Loire, le courant de la Loire qui atteint l’étrave d’une pile, se soulève au musoir de pierre, s’entrouvre en éventail, et passe… Et toute la nuit vivante est là, dans la chambre. Et je sais, je saurai tout à l’heure, à l’instant de céder au glissement du premier sommeil, que le saut d’une ablette à la lune, le long cri d’un courlis sur le Val, ou l’orage silencieux d’une éclosion d’éphémères vont traverser mes rêves et revivre avec mon réveil. 

(Trente mille jours de Maurice Genevoix © La Table Ronde, 2019)

 

En 1903, Camille Genevoix succombe à une crise d’éclampsie.

J’avais douze ans et quelques mois lorsque j’ai perdu ma mère. J’en ai souffert humainement, en tête à tête avec ma souffrance, solitaire et voulant l’être, jalousement, égoïstement : comme un tendre petit garçon, « bras à bras » ; comme un adolescent tourmenté et violent ; comme un adulte, à lui-même et soudain révélé. C’est ainsi que j’en souffre encore, et ce sera jusqu’à mon dernier jour.

(Trente mille jours de Maurice Genevoix © La Table Ronde, 2019)

 

L’univers de Rroû : le marronnier rose et le cèdre bleu.

Lithographie de Maurice Genevoix ; archives famille Genevoix

Le cèdre est un peu froid, un peu trop grave et solennel. Ses branches s’étalent majestueusement, un étage après un étage, très haut par-dessus la maison…

Le marronnier est plus bonhomme, plus familier dans sa manière de vivre. Presque tout de suite, Rroû l’a préféré au cèdre… Le mieux, c’est de choisir une fourche commodément courbée, d’y allonger son corps et de ne plus bouger. Alors toutes les choses viennent à vous, elles vous traversent de leur fantasmagorie. Les mouches d’automne fusent en étincelles ; elles dansent du soleil à l’ombre et leur fredon vibre comme la lumière. On ne bouge toujours pas, on est de plus en plus inerte. Les yeux seuls dardent leurs regards glauques, et les narines frémissent continuellement.

(Rroû de Maurice Genevoix, © La Table Ronde, 2019)