Circuit Maurice Genevoix

Etape 13 : la Bonne-Dame des vignerons

Vendanges chez Jules Rode, allée de la Remise, années 1930 ; photo ; collection particulière

La confrérie des vignerons reconnaissait en cette Bonne-Dame sa protectrice. Un pèlerinage y avait lieu en septembre de chaque année.

Jusqu’au début du XXe siècle, la vigne occupait tout le coteau depuis la Ronce jusqu’à la limite de Saint-Denis-de-l’Hôtel. La population des vignerons équivalait sensiblement à celle des mariniers et à celle des artisans et commerçants. Ils vivaient principalement au nord et à l’est de la commune : dans le quartier de la Bonne-Dame, rue de la Poterie, rue des Champs, etc. La famille habitait une petite maison basse, au mobilier souvent rudimentaire, à laquelle s’ajoutaient une grange avec une cave et les « toits » pour les animaux.

La vendange était l’aboutissement des efforts d’une année. À ce moment de réjouissance s’ajoutaient les fêtes religieuses, en particulier la Saint-Vincent et le pèlerinage à la Bonne-Dame.

À la fin du XIXe siècle, le vignoble fut détruit par le phylloxera et les essais de reconstitution échouèrent, Seuls quelques « paillots » pour la consommation familiale subsistèrent, à leur tour victimes de l’urbanisation des cinquante dernières années.

 

 

Les mots de Maurice Genevoix :

 

…les vrais, les purs vignerons […] Ils étaient tout près de mille, reconnaissables à leur blouse, longue, flottante, délavée, qui tournait peu à peu à un bleu vert-de-gris, de la couleur même du sulfate qu’ils pulvérisaient sur leurs vignes ; à leur casquette, de soie noire l’été, de lapin et à oreilles l’hiver ; à l’habitude qu’ils avaient de se raser entièrement le visage, moustache comprise, une fois par semaine en moyenne, mais ponctuellement ; et aussi, chez les vieux, à leur corps plié en deux, noueux, tordu, qu’ils ne pouvaient plus redresser à force d’avoir biné, sarclé, marré, taillé leurs ceps. Ils allaient les mains jointes dans le dos, sous la hotte, pour faire un peu contrepoids, pour s’empêcher de biquer du nez, « les deux bouts ensemble » disait-on.

(Au cadran de mon clocher de Maurice Genevoix, © Plon, un département de Place des éditeurs, 1960)

 

D’autres bonnes gens de la bourgade, c’étaient les vignerons du cru. Ils occupaient tout un quartier, de maisons basses à toit de tuiles, enguirlandées d’une treille qui courait sous le chéneau, toutes flanquées du même bâtiment en équerre pour les cuves, la carriole et les bêtes : un âne, une vache, un ou deux cochons quelquefois. Jalousement traditionalistes, organisés en confrérie autour de leur chapelle et de leur Vierge – leur « Bonne-Dame »… Ils étaient sentencieux et bavards, grands amateurs de dictons, de proverbes ; jamais pressés, toujours « à temps ».

(Orléanais, Les albums des guides bleus de Maurice Genevoix, © Hachette tourisme, 1956)

 

L’attachement à la terre d’un « héritier fidèle ».

Maisons vigneronnes rue de la Poterie ; carte postale ancienne vers 1900 ; collection particulière

Il s’agit d’un garçon de la Bonne-Dame qui, après la mort de ses parents, avait troqué une parcelle de leurs terres contre une autre, qui lui convenait mieux. Pendant les semaines qui suivirent, le voisinage, toujours vigilant, eut l’occasion de faire plusieurs remarques. Aussi bien cette vigilance n’était-elle même pas nécessaire. Le sol des deux parcelles, bouleversé, retourné, fumait à l’aube de toute sa buée. C’est ici que le guet intervint, les yeux dans l’ombre, l’affût patient : on s’aperçut que toutes les nuits le garçon poussait la brouette, allant, venant d’une parcelle à l’autre, silencieusement, faisant rouler dans l’herbe une roue muette et bien huilée. On prévint alors l’échangeur, qui s’aposta dans l’un des champs, se dressa et surprit l’autre, le coupable non la main dans le sac, mais la terre à la brouette.

Car ce coupable, ou supposé tel, s’en expliqua vite et sans honte. S’il avait opéré la nuit, c’est qu’il ne voulait pas d’histoires, pas de palabres ni de discussions inutiles. Mais puisqu’il fallait s’expliquer, il s’expliquait. Ce qu’il avait troqué, c’était la surface, l’emplacement, pas la terre. Aussi bien une terre valait-elle l’autre, personne ne serait donc lésé. Ce qu’il ne pouvait supporter, c’était l’idée que la terre arable, façonnée par ses parents, ses grands-parents, fût cultivée par des bras étrangers. Alors, brouettée par brouettée, d’un champ dans l’autre, la nuit durant, il transportait, il échangeait les couches de terre, pieusement, avec le zèle des bonnes consciences et l’entrain des héritiers fidèles.

(Au cadran de mon clocher de Maurice Genevoix, © Plon, un département de Place des éditeurs, 1960)